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Séparés par des virgules

Améliorer l’accès à la justice pour les enfants victimes

Du 5 au 7 juin, l’Université d’Angers a accueilli le 4e congrès de la Chaire internationale Mukwege. Retour sur cette édition, consacrée aux enfants victimes de violences sexuelles dans le contexte de conflits armés.

À la fin de table ronde d’ouverture, Éric Appéré, chargé d’illustrer en direct les interventions, résumait en dessin son humeur : « Je sais pas si je tiendrai jusqu’à vendredi soir » [sic]. Tout n’a pas été facile à entendre lors de ce 4e congrès consacré aux enfants victimes de violences sexuelles en période de conflits armés. Un sujet « difficile », admet Bérangère Taxil, professeure de droit international à l’UA, copilote du programme Violences sexuelles et enfance en guerre (VSEG), mais « un sujet essentiel qui a été peu traité. Et ce congrès a contribué à lui donner une visibilité ».

Une centaine d’intervenant·es, universitaires et professionnels de terrain, se sont relayés à la tribune durant deux jours et demi, à la Faculté de droit, d’économie et de gestion. Prix Nobel de la Paix 2018, le Dr Denis Mukwege, n‘en a pas perdu une miette.

L’obstétricien-gynécologue se bat depuis 30 ans pour la réparation des femmes victimes de violences sexuelles dans les luttes armées qui agitent la République démocratique du Congo, et, plus largement, le monde. « Dans la grande majorité des conflits modernes, les enfants sont devenus la cible des belligérants », a-t-il regretté dans son discours d’introduction, avançant des chiffres alarmants : « 400 millions d’enfants, un enfant sur cinq vit dans une zone de conflits ou la fuit, 70 millions vivent à 50 km ou moins d’un conflit ». Si les jeunes garçons représentent près des trois-quarts des victimes, les jeunes filles sont davantage touchées par les violences sexuelles, de différentes natures (viol, prostitution, mariage forcé…).

« Les violences sexuelles sur les enfants entraînent de sérieuses conséquences sur divers plans ». D’où le besoin d’une prise en charge globale, holistique (médicale, psychologique, juridique, réinsertion sociale) défendue par Denis Mukwege, qui prône la nécessité d’associer les survivant·es à la recherche de solutions : « Alors que les violences sexuelles cherchent à détruire l’identité de la personne, la cocréation envoie un message inverse : vous êtes vus, vous êtes écoutés, vous êtes une personne ! »

Approche thématique

La qualité des douze sessions organisées à la suite de la conférence d’ouverture a été saluée par les participant·es. « Nous avions adopté une approche thématique, là où les précédents congrès avaient fait le choix de l’approche disciplinaire, explique Bérangère Taxil. Ce dialogue entre différentes disciplines autour d’une même thématique a été apprécié ».

Globalement, le congrès a fait apparaître « pour tous les acteurs, médecins, psychologues, juristes, etc., la nécessité d’améliorer l’accès à la justice », poursuit la professeure de l’UA. « Le maillon faible n’est pas le droit lui-même, qui existe, mais la volonté politique de le mettre en œuvre », précise Isabelle Fouchard, chargée de recherche CNRS à l’Institut des sciences juridiques philosophiques de la Sorbonne (ISJPS), coresponsable scientifique du programme VSEG.

La problématique des enfants nés d’un viol

Les échanges ont également mis en lumière l’importance de la prise en charge des enfants nés de viols. « Ces enfants cherchent leur identité, et bien souvent, ils subissent des traumatismes transgénérationnels qui ne sont pas réglés, avec des garçons qui peuvent, à leur tour, devenir violents, et des filles qui seront plus souvent victimes, résume Bérangère Taxil C’est un cycle qu’il faut briser ».

La Chaire Mukwege et les responsables du programme VSEG vont à présent s’attacher à diffuser les interventions et divers enseignements issus de ce 4e congrès (via la mise en ligne des conférences filmées, des podcasts, des publications…).

La 5e édition du congrès aura, quant à elle, lieu du 3 au 6 décembre 2024, à Montréal. Son titre : « Mettre fin aux violences basées sur le genre : autonomisation des femmes et développement durable ».

 

Une année supplémentaire pour VSEG

Les enfants sont victimes – et auteurs – de violences sexuelles dans les conflits armés, pour diverses raisons liées aux stratégies guerrières. Le projet Violences sexuelles et enfance en guerre (VSEG) vise à analyser ce phénomène qui est massif et constitutif de graves crimes internationaux. Il s’inscrit dans une démarche de lutte contre l’impunité en visant à identifier les lacunes du droit international pour véritablement mettre en œuvre les responsabilités des acteurs impliqués dans les actes de violence affectant les enfants dans les conflits armés, et à rechercher les conditions d’une réparation holistique de ces violences.
Lancé fin 2022, ce programme bénéficie d’un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour 3 ans. Il se prolongera une année supplémentaire, jusqu’à fin 2026, grâce au nouveau soutien apporté par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, « ce qui nous permettra notamment de monter un projet à l’échelle européenne, indique Bérangère Taxil, et d’explorer de nouvelles pistes, comme la question de la cyberviolence à l’égard des enfants, qui prend de l’ampleur ».

« Je me sens à la maison »

Jeune médecin, Denis Mukwege est venu, au milieu des années 1980, se former à la gynécologie-obstétrique, à Angers. Une ville dans laquelle le Prix Nobel de la Paix 2018 revient régulièrement avec plaisir. « Ce que je suis aujourd’hui, c’est parce vous m’avez formé, pas seulement sur le plan scientifique, mais aussi humain. À chaque fois que je suis à Angers, je me sens comme à la maison ».

En plus de ces remerciements, Denis Mukwege a tenu à rendre hommage à la mémoire de Bernard Crézé, « mon maître, mon ami, mon frère », qui l’a formé et, à la fin de sa carrière, a contribué à la formation de chirurgiens gynécologiques à l’hôpital de Panzi, en RDC.

« Je me sens à la maison »
Denis Mukwege et le maire d'Angers, Jean-Marc Verchère, lors de la réception donnée le 5 juin, en mairie.

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