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Séparés par des virgules

Un jeu vidéo sur les filiations illégitimes au Moyen-Âge

En marge d’un programme de recherche soutenu par l’ANR, l’historienne médiéviste Carole Avignon a développé le jeu « Cap ou pas Cap, Bande de Bâtards » qui permet d’explorer différents scénarios de filiations illégitimes et les conséquences sociales pour ces enfants nés hors du mariage.

Un homme et une femme se marient, puis donnent naissance à un enfant. Au Moyen Âge, comme à d’autres époques, la norme va connaître des accrocs : des enfants vont naître de parents non-mariés, de couples adultères, d’ecclésiastiques censés être chastes… Se pose alors la question du statut de ces « bâtards », de leur insertion dans la société, ou de leurs droits en matière d’héritage par exemple.


Un jeu résume l'éventail des situations rencontrées
La question de toutes ces « filiations illégitimes » est au centre du programme Filiations, identité, altérité médiévales (Fil_IAM), porté par Carole Avignon, maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’Université d’Angers. Soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), au titre de son action en faveur des Jeunes Chercheuses et Jeunes Chercheurs (JCJC), le projet de 5 ans débuté en 2020 se focalise sur l’Europe latine du XIe au XVe siècle. « Il s’agit d’une étude sur les filiations illégitimes, les expériences sociales et les représentations de la parenté dans le cas de filiation “à défaut” », résume la porteuse du projet, Carole Avignon. Auteure d’une thèse en 2008 sur les mariages clandestins, elle s’intéresse notamment aux règles éditées par l’église, à travers le droit canonique ou des prédications, ou bien des règles issues de coutumes et applicables à tel ou tel territoire, les principes appliqués dans les testaments…

Naître hors mariage n’est pas neutre pour l’enfant : « Il hérite de la faute de ses parents », constate la chercheuse, membre de l’unité Temos. Il n’a donc pas les mêmes droits qu’un enfant légitime et est frappé d’un certain nombre d’incapacités : impossibilité d’accéder à la prêtrise, d’hériter des biens, etc. La situation diffère selon plusieurs critères : sexe de l’enfant, milieu d’origine du père (noble, membre du clergé ou du peuple), niveau social de la mère. « Il n’était pas rare qu’un seigneur reconnaisse un fils issu d’une relation adultère, prenne en charge son éducation, l’entretienne et en fasse un allié, militaire notamment. Mais il ne pouvait hériter de son nom ou de ses biens ».

Comme pour toutes règles, il y a des exceptions. « On pose des interdits, mais on offre aussi des stratégies pour lever les incapacités, explique Carole Avignon, qui a rejoint l’UA en 2009. Ce sont les dispenses pontificales, ou les légitimations royales ou princières, qui sont des sortes de grâces ». 

Ludique

Le public peut aujourd’hui appréhender la pluralité des situations et des contraintes qui vont avec grâce à un outil ludique. Grâce à l’une des membres du groupe de recherche Fil_IAM, Marie-Lise Fieyre, Carole Avignon s’est rapprochée de William Brou, enseignant du secondaire, très investi dans les Game Jam des Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Un atelier dédié aux écritures alternatives de la recherche en SHS (à Nantes, novembre 2023) a permis de partager des expériences autour de la gamification de la recherche en histoire. Un game designer, Louis Farcy a été associé en janvier 2024 pour assurer les premiers conseils. Le travail de fond, sur ce projet à petit budget, a pu être lancé : conception et écriture par Carole Avignon, modélisation, avec l’appui de l’ingénieure d’étude du programme, Rébecca Bercand, trois étudiants d’une association issue du master Informatique, Conception et développement, de la Faculté des sciences. Le développement sur Unity, le recours à l’IA pour le graphisme ont été assurés par Florian Focone, ingénieur de recherche en charge du Userlab de l’Université d’Angers. Une version jouable a ainsi pu être mise en ligne en janvier 2025.

Derrière l’écran, le joueur choisit d’incarner « Marguerite ou Jehan », et détermine le profil social de son père. Il devra ensuite se rendre, en un temps limité, de lieu en lieu, « à la rencontre de personnages qui vont lui poser des questions, lui donner des quêtes, et l’envoyer vers d’autres points de rendez-vous. Au fur et à mesure, le personnage grandit, est éduqué, et fait des choix de vie qui ont un impact sur sa réputation et/ou son capital matériel. L’enjeu pour le bâtard va être de s’insérer socialement. Et le joueur va mesurer ce qu’il peut faire ou non. Cela permet à des jeunes ou des personnes qui n’ont jamais entendu parler d’histoire médiévale ou de bâtardise médiévale, et qui ne liraient pas un article sur le sujet d’être sensibilisées à des mécaniques sociales du temps. Cela permet aussi de déconstruire des idées reçues sur le Moyen Âge.». ». 

Un premier prototype de « Cap ou pas Cap, Bande de Bâtards » est né à l’automne 2024. Le serious game a notamment été testé par le public lors de la Nuit des chercheurs ou de la Fête de la science. En avril, c'est une classe de 5e de l''académie de Clermont qui découvrira le jeu, avec Marie-Lise Fieyre, et pourra suggérer des pistes d'amélioration. Un podcast d’accompagnement est également en cours de réalisation pour prolonger l’expérience.

Jouez en ligne avec Cap ou pas Cap, Bande de Bâtards

En savoir plus

ÉchoSciences Pays de la Loire a consacré une émission à ce projet de jeu, en deux épisodes à visionner ci-dessous :

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